Sunken City
Notre temps, s’il n’est plus celui du mythe, a trouvé dans la légende urbaine une réponse inédite à ses préoccupations surnaturelles. La majeure particularité de cette forme narrative tient à l’articulation qu’elle opère entre un cadre prosaïque moderne et l’irruption d’évènements inexplicables. Elle fait de l’espace urbain, désacralisé et muet, un environnement susceptible d’accueillir le mystère, ce chaos momentané qui rompt la trame du réel et ouvre vers un possible au-delà. Produites en grande partie lors d’un séjour à Los Angeles, les œuvres présentées par Louis Barbe dans cette première exposition personnelle à la galerie Lazarew semblent imprégnées de l’atmosphère mystérieuse de cette ville aux milles légendes. Visuellement, l’artiste déploie une peinture de l’hyperbole : la matière est riche, les couleurs saturées, les traits et gestes exagérés, les compositions foisonnantes. C’est un joyeux défilé de gueules improbables, qui, loin de verser dans le grotesque, cultive plutôt une féconde ambiguïté.
Si certaines scènes, comme la complexe romance impliquant une jeune cowgirl et un élégant cactus, pourraient prêter à rire, l’impassibilité des protagonistes interrompt toujours notre hilarité. Cette surcharge d’observations contradictoires nous plonge dans une réalité délirante, au sein de laquelle rien n’est vraiment ce qu’il devrait être. Les fréquentes apparitions d’espaces souterrains, comme le champ de bataille d’UR, d’intérieurs de murs, comme la suggestive tanière du terroriste de studio sabotage, ou de façades abattues, comme dans L’immeuble, complexifient encore notre lecture de la toile. Elles agissent comme autant de trames narratives alternatives qui surgissent des replis du réel et saturent l’œuvre d’informations chiffrées.
Devant ce foisonnement de micro-narrations, on en vient à chercher une clef de lecture introuvable, à tenter de décrypter une énigme sans réponse. Comme une légende urbaine, la peinture de Louis Barbe déploie une carte fantasmatique qui jalonne les souterrains et les marges de la ville pour l’irriguer de ses énigmes. Parce qu’elles apparaissent dans un environnement pictural cohérent, ces scènes prennent une dimension existentielle. La magie de la peinture, son infini pouvoir de subjugation, les rend aussi réelles que nos errances quotidiennes. Tout se passe comme si cette fiction picturale venait renouveler notre monde, lui offrir la charge poétique et surnaturelle dont il manque. Elle devient pour le peintre un mode de digestion du réel, une manière de le justifier en traçant ses possibilités les plus troublantes. Exploration de la ville, de ses marges et de ses énigmes, la peinture de Louis Barbe arbore les peurs inconscientes et les désirs cachés qui surgissent de nos histoires souterraines.
Armand Camphuis, critique d'art & curateur indépendant, juillet 2025