Personne ne bouge !

Personne ne bouge !
3 mai 2025 - 21 juin 2025
Double V Gallery - Marseille


Dans l’atelier de Félix, une grande toile attire le regard : deux corps figés dans l’intensité d’un bleu nuit, le silence est le fil tendu entre eux. Rien ne bouge, mais tout est en jeu. Son œuvre s’inscrit dans une peinture habitée, traversée par des tensions où le corps, le regard et l’espace deviennent les lieux d’une friction autant physique que mentale.

Né en 1996, diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris et ancien résident de la Casa de Velázquez (2022–2023), Félix Deschamps Mak vit et travaille à Paris.

Pour cette nouvelle série, il poursuit son exploration du combat, intérieur comme extérieur. Qu’il s’agisse d’une corrida, d’un ring de boxe ou d’un face-à-face plus intime avec soi-même, la lutte devient un motif central, une dramaturgie récurrente. Chez lui, la dualité — entre force et fragilité, éclat et silence — n’est pas un effet de style, mais un terrain d’enquête.

Ses figures évoluent dans des espaces clos, suspendus, à mi-chemin entre rêve et souvenir. Ces scènes semblent mises en tension par des interactions énigmatiques, des regards fuyants ou frontaux, où chaque geste contient sa propre gravité. C’est un théâtre de confrontations, où les enjeux restent voilés mais vibrants.

L’artiste puise dans ses archives personnelles, glanées au fil du monde et du temps : un vendeur ambulant dans une ville lointaine, un ours figé dans une rue des années 30, ou encore le visage brûlé mais digne de Niki Lauda. Ces fragments du réel, transfigurés par la peinture, dessinent un territoire flottant entre mémoire et fiction, documentaire et mythe.

À travers eux, la peinture de Félix dialogue avec les portraits de Diane Arbus ou d’August Sander, qui révèlent les failles de l’identité. De la même manière, ses personnages habitent une zone intermédiaire — ni tout à fait anonymes, ni tout à fait incarnés. Ils sont des figures de passage, marquées par le doute, l’ambiguïté, le tiraillement.

Ici, le vide n’est pas absence, mais surface de projection. Il souligne l’instabilité, le seuil, comme si chaque scène menaçait de s’effondrer. Félix développe un langage pictural où les contrastes — visuels et narratifs — deviennent des forces actives :

entre ombre et lumière,
entre maîtrise et accident,
entre apparition et effacement.

L’influence de Goya est palpable dans la densité des atmosphères comme dans la matière même des toiles. Elle insuffle à ces tableaux une profondeur tragique, une tension sourde.

Chez Félix, comme chez Goya, la peinture devient un champ de résistance — contre l’oubli, contre la simplification, contre la paix facile.

Chaque tableau devient alors l’arène d’une lutte silencieuse. Un équilibre instable entre forces irréconciliables. La dualité ne se résout jamais. Elle se rejoue. Encore. Et encore.

Jean Magnin


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